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Le langage des jeunes
Lisez les conclusions de l'article de Lorenzo Devilla: "La langue des cités à l'affiche : pratiques langagières des jeunes urbains dans le cinéma français sur la banlieue", puis retrouvez les 6 affirmations correctes parmi les énoncés ci-dessous.
Le succès des films comme "L'Esquive" (2004) ou "Intouchables" (2011) montre que la banlieue occupe désormais une place importante dans l'imaginaire de la majorité des Français. On mesure au fil des films l'importance acquise par les variétés stigmatisées dans le marché linguistique du discours cinématographique. Même si dans le cinéma les pratiques langagières des jeunes urbains font l'objet d'une théâtralisation, au sens de Goffman, et qu'un film ne peut montrer qu'une "stylisation" linguistique, notre corpus laisse cependant émerger certaines tendances, comme l'abandon de la verlanisation systématique (typique en revanche dans les films des années 80 et 90) et l'essor de phénomènes liés aux contacts de langues. Or, si l'on en croit Alain Rey, ces mêmes tendances seraient en cours dans les pratiques réelles des parlers jeunes, le verlan s'étant aujourd'hui essoufflé, complété par les langues d'héritage. Des enquêtes de terrain récentes, comme celle menée dans le cadre du projet "Multicultural Paris French" par une équipe dirigée par Françoise Gadet semblent aller dans cette même direction.
Du "Thé au Harem d'Archimède" (1985) jusqu'à "L'Esquive" (2004) en passant par "La Haine" (1995), qui illustrent, selon les sociologues Kokoreff et Lapeyronnie, trois configurations successives, trois âges de la banlieue, on constate donc le recul du verlan et la place importante faite à l'arabe maghrébin, que le cinéma français sur la banlieue semble avoir choisi comme trait stéréotypé caractérisant les parlers des jeunes urbains. Et ce en dépit de la présence en banlieue d'autres langues d'héritage, dont les langues africaines, par exemple. Or, on sait qu'aujourd'hui en France à travers les immigrés, rapatriés, harkis, et leurs descendants, près de 10% de la population française a, dans son histoire familiale, un attachement avec l'autre côté de la Méditerranée et un lien avec la darja ou le berbère, même si cela ne veut pas dire que ces gens parlent ces langues. Mais il est intéressant de souligner que l'arabe maghrébin exerce désormais des influences sur les parlers des jeunes quelle que soit l'origine de leurs parents et dans tous les quartiers. Il a en effet débordé le cadre familial ou communautaire où on le cantonnait pour laisser des empreintes sur la scène culturelle française, qui en sort ainsi modifiée. Il a gagné visibilité et légitimité et semble jouer un rôle fédérateur. L'arabe maghrébin s'est installé sur le devant de la scène culturelle française à un tel point qu'on assiste aujourd'hui à un dépassement même des clichés de l' "entre deux cultures" ou du "métissage culturel". À cet égard, la notion de "crossing" élaborée par Ben Rampton (2005) pourrait être mobilisée, nous semble-t-il, pour décrire ce phénomène qui caractérise les parlers des jeunes urbains et qui consiste à adopter une variante normalement associée à une autre communauté, comme l'illustre ce témoignage recueilli par Cécile Ladjali, écrivaine et professeure de lettres dans un lycée de Seine-Saint-Denis, dans son essai "Mauvaise langue" (Seuil, 2007). Il s'agit des propos d'une de ses élèves, une "française en l'occurrence" (sic) : "... dans la cité il y a trois clans. En haut de la pyramide, il y a les Blacks, ils sont les plus forts. Au milieu il y a les Beurs. Ils suivent le mouvement. En bas, il y a les Blancs, ceux qui ne peuvent pas habiter le quartier pavillonnaire. Pour eux c'est très dur. Moi je parle avec cet "accent black", pour ne pas passer pour une "bouffonne de Blanche". Et puis les garçons me respectent quand je parle comme eux, de façon virile, et pas comme une fille. Alors ils me laissent tranquille." Or, l'inconvénient du terme "crossing", comme nous l'a fait remarquer Françoise Gadet, c'est qu'il semble supposer que les communautés sont propriétaires de leurs langues ou de leurs traits. En revanche, les langues, on le sait, se moquent des frontières. Cela circule toujours.
Source: dorif.it
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